C’est avec une certaine incrédulité que les Togolais assistent de plus en à la position déroutante de l’Alliance Nationale pour le Changement (ANC) et de son président Jean-Pierre FABRE sur la question des réformes constitutionnelles et institutionnelles. En effet, l’intransigeance des ex amis de Gilchrist
OLYMPIO qui s’opposent à tout amendement à leur proposition de loi et refusent de fait, le consensus pourtant prôné par l’Accord Politique Global (APG) dont ils se pré- valent, équivaut en réalité à valider le statu quo favorable au pouvoir en place. Puisque, en l’état, il n’y a aucune chance que le texte soit adopté par la majorité parlementaire. Cependant à l’analyse, on se rend compte que l’immobilisme profite également à l’ANC
L’Alliance Nationale pour le Changement (ANC) est née dans une situation de tension extrême et de conflit fratricide comme aiment à le rappeler certains de ses cadres.
Cette réalité est inscrite dans son « empreinte génétique » et détermine ses positions. De fait, à l’instar de l’UFC (Union des Forces de Change- ment) dont ils copient jusqu’à la caricature les postures et adoptent les stratégies même les plus inopérantes, le parti de Jean-Pierre FABRE prospère sur un terreau « crisogène » à défaut de proposer un projet. Les tensions politiques sont son moteur et les débats politiciens interminables son fonds de commerce, qu’il exploite à l’envi pour masquer les questions de fond. Ainsi, à quelques mois de l’élection présidentielle, la réalisation des réformes telles que débattues par la classe politique et envisagées par ses pairs de l’opposition, affaiblirait la formation orange en le privant de son fonds de commerce et en met- tant à nu son déficit pro- grammatique.
En outre, l’adoption d’un mode de scrutin à deux tours rendrait caduque l’idée d’une candidature unique, même si celle-ci est déjà mise en échec. La multiplication des postulants serait une mauvaise nouvelle pour monsieur FABRE dans sa posture de chef de file autour du- quel devraient se réunir les autres formations et dans sa tendance hégémonique. D’autant plus qu’il doute de sa propre capacité à faire reporter pleinement les voix des autres candidats de l’op- position en cas de deuxième tour ; pour avoir traité avec beaucoup de condescendance voire de mépris, plusieurs d’entre eux.
Ensuite, l’ANC ne peut oublier que c’est avec plus de 63% de voix que Faure GNASSINGBE a gagné l’élection présidentielle de 2010. De fait, même en cas d’une élection à deux tours, il serait passé dès le premier avec un tel score.
Au vu de la configuration et de la sociologie politique actuelle, des résultats des dernières élections législatives, de la faible mobilisation de plus en plus avérée lors des manifestations de son parti, et de son absence quasi rédhibitoire du terrain, l’ex lieutenant de Gilchrist OLYMPIO est convaincu que ses chances de gagner sont faibles. Il se prépare donc déjà à une contestation qui est la position qui lui sied le mieux, lui garantit une assise politique et une visibilité médiatique. Pour ce faire, une élection à un tour est la mieux indiquée car la probable multitude de candidats grignotant son score potentiel, est un argument susceptible de lui être opposé en cas de contestation.
L’autre argument est celui-là financier. En gardant sa position de challenger principal dans une élection à un tour, il pourra accuser les autres de ne pas avoir fait l’union sacrée autour de celui le mieux placé. Mais surtout, il restera le principal destinataire des mobilisations de fonds venus essentiellement de femmes des marchés et de la diaspora, dans une totale opacité, sans aucune comptabilité.
Enfin, l’ANC qui campe depuis toujours une formation radicale et populiste, à la lisière régulièrement de la démagogie, est convaincue que seule cette ligne est électoralement payante dans sa compétition de leadership avec les autres formations de l’opposition. Accepter officiellement le compromis politique d’une disposition transitoire qui ne viendrait en réalité que rappeler les principes généraux de droit notamment le non rétroactivité de la loi pour aboutir à un consensus, seul gage de la réussite de la réforme, pourrait être interprété par son électorat comme une preuve de faiblesse, voire de trahison. Puisque Jean- Pierre FABRE a eu l’imprudence de promettre à ses partisans que le président sortant ne se représenterait pas et que lui et ses amis, l’en empêcheraient le cas échéant. Promesse qu’il ne pour- ra évidemment pas tenir mais dont il ne souhaite qu’on le lui rappelât, à quelques semaines de la présidentielle.
Sauf que beaucoup d’observateurs ont lu dans le jeu trouble de l’ANC et l’ont systématiquement sommée de s’expliquer, certains comme le secrétaire général du CAR (Comité d’Action pour le Renouveau) Jean KIS- SI ou encore le confrère Fulbert ATISSO n’hésitant pas à désigner ce parti comme constituant celui bloquant les ré- formes. Faisant référence par exemple au docu- ment que l’ANC a fait signer aux autres partis de l’opposition pour que ceux-ci ne proposent et/ ou ne s’associent à aucun amendement de la loi déposée sur le bureau de l’Assemblée nationale ; ce qui bien évidemment est aux antipodes des pratiques parlementaires et ne répond à aucun usage démocratique.
Ou encore aux prises de positions médiatiques de plusieurs des cadres du parti, dénonçant les propositions du Groupe dit de Médiation, qui offrait d’insérer dans la loi constitutionnelle une disposition transitoire qui permet de régler le problème de rétroactivité ou non de la loi. Celle –ci préciserait que le principe de la limitation s’appliquera à compter du mandat qui court de 2010 à 2015. Il n’en fallait pas plus pour que le président d’ADDI, le Pr Aimé GOGUE qui avait déjà émis des doutes sur la volonté de ses amis de toujours à accompagner les réformes, de s’interroger sur leur attitude en la dénonçant.
L’expression la plus marquante de la volonté de l’ANC de retarder les réformes fut le coup du refus que la Commission des Lois connaisse de ces questions. En effet, les discussions devant la dite commission ont commencé le matin du mercredi
24 conformément au règlement intérieur de l’assemblée et après que certains de ses membres issus de l’ANC aient fait repousser dans un premier temps sa tenue, pour cause de voyage à l’étranger. Curieux comporte- ment pour des personnes pro- clamant la nécessité absolue de réformes dans les meilleurs délais.
Dès l’ouverture des débats, maîtres Georges Latévi Lawson et Adama Doe-Bruce vont jouer au dilatoire, soulevant une motion de procédure en invoquant l’incompétence de cette commission à débattre des lois constitutionnelles. Argument motivé selon eux par le règlement intérieur de l’Assemblée nationale. Ils soutiennent qu’une loi constitutionnelle ne peut pas être discutée en commission parce que la loi ne le dit pas expressément alors que la loi le fait dans le cas des autres textes. Ils proposent donc que le texte soit envoyé directement en plénière. La Cour Constitutionnelle saisie sans délai, les renverra à leurs chères études en leur donnant tort. Mais cela aurait fait perdre quelques jours au débat.
N°125 | du 14 au 28 Janv 2015